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Texte et photos de Anne Gisselbrecht.

Février 2020, à l’aube d’une crise humanitaire et sanitaire digne de la pire fiction, nous partons avec Kheo, mon fils pour le Vietnam, une promesse de voyage mère-fils à la découverte de ses origines vietnamiennes. Dès notre arrivée à Hanoï, la magie vietnamienne opère et ne nous quittera plus. Le Vietnam grouille, vit. Traditions, modernités, architectures coloniales, communistes, chinoises, gastronomie sur les trottoirs, flux incessant des 2 roues, la rue vibre.

Hanoï, une sorte de désordre ordonné.

La distillerie est à 800 km de Hanoï vers le sud au bord de la mer de Chine, distance vite parcourue par deux nuits en bus couchettes, dont je ne soupçonnais même pas l’existence, trajet autant « roots » que confortable. Au Vietnam les prestations, même les moins chères, sont « 5 étoiles ».

Antoine Poircuitte, le maître distillateur, nous accueille dès l’aube à la gare routière, comme convenu, pour nous conduire à « LA distillerie ». A 15 km de Hoï An, « la ville aux lampions », classée au patrimoine mondial de l’Unesco, pour son architecture traditionnelle et sa gastronomie raffinée, elle nous apparaît, colorée de bleu et de jaune. L’air devient plus chaud.

La nuit au Vietnam émerveille par les lumières colorées, les lampions de Hoï An.

L’hospitalité d’Antoine, de Jan, de Chi, la femme de Jan, du père de Jan – une belle bande de complices expatriés – illuminera le reste de notre séjour vietnamien. Et puis, il y a les « Sampans », ces blancs, dont j’ai bourré mes valises, des rhums au bouquet riche et délicat mais puissant, qui achèvent de m’envoûter. Alors, nous avons discuté autour d’un vietnamese Mojito, à base de coriandre fraîche, et ils nous ont raconté leur aventure.

Conversations à la Distillerie d’Indochine.

Xa Binh Duong le 27 février 2020.

La création de la distillerie :

 

Antoine Poircuitte : » J’ai toujours voulu monter ma propre distillerie, mon grand-père était bouilleur de cru, et j’ai fait ma première distillation à l’âge de 6 ans. Cela fait 11 ans que j’écume l’Asie et j’ai commencé par le Vietnam, dont je suis tombé amoureux et pour ouvrir une distillerie, cela tombait sous le sens. Il y a ici énormément de canne à sucre. C’est un pays producteur de sucre qui n’avait pas de distillerie de rhum style “agricole”. Le projet a mûri pendant longtemps et s’est concrétisé en 2016 avec Jan Visser et Julien Masset, mes 2 partenaires. Jan vit ici depuis plus de 15 ans avec sa femme Quinh Chi Duong qui est vietnamienne et qui a joué un rôle clef. Tous les éléments étaient réunis : de la bonne canne à sucre, l’opportunité qu’il n’y ait pas de précédent ici dans le rhum. Nous avons développé ce projet ensemble et acheté le terrain fin 2017. La construction a commencé en mars 2018. Avant, il n’y avait rien, du sable et des buissons. Tout a été monté de A à Z.

Nous avons aussi choisi Da Nang pour être proches des champs de cannes à sucre qui sont à 50 km d’ici, à Quang Nam. Entre le moment où la canne est coupée dans les champs jusqu’à la presse à la distillerie, il se passe entre 12 et 24 heures maximum. Cela nous permet d’avoir un jus de canne ultra frais pour partir en fermentation. Da Nang étant sous la même latitude que les Caraïbes, c’est aussi un petit clin d’œil au rhum agricole français.

L ’ouverture officielle de la distillerie a eu lieu le 31 mars 2019, en même temps que RFP 2019 (!) et nous avons commencé la distribution nationale au Vietnam dès fin août 2019.

Pour revenir sur le site de production, nous avons commencé par la production de rhum et ensuite, nous avons évolué avec une « Home Stay », une villa que l’on propose à la location, avec piscine et face à la mer, dans ces tons bleus et blancs clins d’œil aux Caraïbes. »

La piscine de la Villa et derrière le muret … la mer de Chine.

Autour de l’environnement :

Antoine : « La plage, à 50 mètres de la distillerie, est relativement propre, large et déserte mais il y a quand même un peu de polystyrène charrié par la mer de Chine. Nous avons décidé avant le début de la haute saison, en avril, d’organiser des weekends de nettoyage avec des volontaires pour la partie qui est frontale à la distillerie sur 1 km et de finir la journée par une petite dégustation !

Actuellement, faute d’organisation locale pour la gestion des déchets, nous conservons toutes nos bouteilles. J’étudie actuellement la solution de les piler, en faire donc de la poudre que nous mélangerons avec du sable pour en faire du béton que nous utiliserons pour nos constructions supplémentaires.

Le traitement des déchets au Vietnam, reste sommaire, mises à part quelques incinérations en bord de route et un centre de déchets situé à l’extérieur de Hoi An.

Culturellement et avant l’arrivée massive du plastique, les vietnamiens avaient pour habitude d’évacuer leurs déchets, qui étaient à 99% « verts » dans les rivières, les plages, les bois, et ils ont gardé cette habitude avec le plastique.

Le problème c’est que les constructions vont beaucoup plus vite que l’organisation de la gestion des déchets. Il n’y a pas d’infrastructure par rapport à l’expansion actuelle. Il y a environ 1000 hectares de développement d’hôtels à 5 km au nord de la distillerie et 800 au sud. »

Autour des associés.

Jan : « Seul Antoine, partenaire et maître distillateur, travaille à plein temps sur la distillerie. Julien et moi-même avons d’autres activités. Julien est basé sur Shanghai et j’habite sur à Hanoï depuis 15 ans.

Toutes les questions qui concernent les autorités locales vietnamiennes sont gérées par ma femme. Sans elle, le projet n’aurait pas pu se concrétiser. Nous n’aurions pas pu acheter le terrain sans elle, ni le vendre sans son accord. C’est la loi vietnamienne. La marque est protégée sous nos noms. Chi est aussi propriétaire. Les licences de production ne sont pas délivrées aux étrangers. »

Autour du Vieillissement :

Antoine « Notre chai a été construit en 2018 et la première mise en barriques s’est faite en octobre 2018, dans la foulée de la première production et après le repos du rhum en cuve.

La production 2020 sera mise en barrique d’ici un mois ou deux et nous doublerons le volume de fûts.

Et puis « tic tac », notre rhum vieux est à mi-chemin des 36 mois donc normalement sur le RFP 2022, nous vous ferons déguster le premier rhum vieux vietnamien !

Prélèvement du futur premier  » vieux » Sampan, pendant le compte à rebours.

J’aimerais aussi travailler plus les vieillissements, faire des finishes avec des bois différents, des Sauternes, du Sherry. Pourquoi pas avec des barriques fabriquées moitié avec du chêne français et moitié du bois exotique. Tenter le vieillissement en bois exotique. Et encore des single barrels, des cuvée spéciales, des éditions limitées … Pourquoi ne pas enterrer des barriques dans le sable. Le vieillissement ouvre à pas mal de possibilités et d’expériences. »

Autour des Médailles :

Antoine :  » En 2019, nous avons obtenu de nombreuses médailles lors de concours de dégustation : médaille d’or à Top Rhum pour le 54°, médaille de bronze à Londres (pour le 48° avec une note de 88/100), médaille d’argent à Singapour (le 48°) et enfin médaille d’or au Concours International de Lyon pour notre 54°.

Nous attendons avec impatience le nouveau concours du Rhum Fest Paris, qui semble prendre une nouvelle configuration.

Autour de La Distribution

Jan Christophe : « Nous travaillons désormais en partenariat en France avec Les Whiskies Du Monde (LWDM), qui lancent leur nouveau catalogue dans lequel figure les rhums Sampan.

Lors du Rhum Fest Paris 2019 nous avons pu présenter nos rhums blancs à 48 ° et 54°.

La Baie d’ Halong , un écrin.

Notre blanc à 65 ° sera plutôt destiné au marché local, à cause des taxes qui en feraient un produit trop cher à la vente en France. Nous en vendons à la distillerie aux touristes français qui ont pu les goûter au Rhum Fest et ainsi rapporter en France une exclusivité vietnamienne !

Nous avons normalisé aussi nos étiquettes avec des code-barres, tout en restant kraft, mais pour faciliter la distribution. »

Antoine : « Nous sommes maintenant présents sur Singapour, le Cambodge et, dans les tuyaux, il y a la France donc, le Sri Lanka, les Maldives, les Philippines, la Chine, Hong Kong, la Nouvelle Calédonie, l’Australie ainsi que la Suisse.

Depuis le RFP 2019, nous avons mis en place la distribution au Vietnam avec notre partenaire The Warehouse, sur Singapour avec Asia Wine Network, et au Cambodge avec WareHouse toujours. La production a doublé entre 2018 et 2019, et celle de 2020, qui débute dans 2 semaines prévoit encore une augmentation des volumes.

En 2018, notre première année, nous avons sorti 5000 bouteilles ; en 2019, entre 10 000 et 12 0000 bouteilles, afin de satisfaire nos nouveaux marchés. Pour 2020, dont la production est imminente nous prévoyons 20 000 bouteilles. »

 

Autour des projets :

 

Jan : « Cette année, nous lançons un grand arôme, mon « kiff » à moi car j’adore les rhums plein d’esthers, les choses un peu funky . J’ai très envie de faire une petite cuvée en édition limitée… Il y a une belle dédicace à faire !

Antoine :  » Nous sommes aussi toujours sur la recette de notre spiced. Je ne voudrais pas aller vers quelque chose de trop sucré ou trop gingembre, trop consensuels comme la tendance actuelle. J’aimerais bien mettre des petites notes d’épices locales vietnamiennes. Elles sont nombreuses, dont le poivre de Phu Quoc qui est absolument superbe, et la cannelle. Nous envisageons de travailler avec Didier Corlou, le plus grand épicier du Vietnam et un grand chef français, « le Monsieur Épices » au Vietnam. Cela fait 20 ans qu’il travaille ici et le gouvernement Vietnamien l’a récompensé pour saluer son apport à la cuisine vietnamienne. Nous n’avons pas envie de nous précipiter pour sortir un  » truc » en fait, juste pour faire un spiced mais il devrait sortir dans l’année »

 

Autour du Spiritourisme :

Antoine : « Nous travaillons depuis un an avec des tours operators et nous proposons des packages : des week-ends autour du rhum, des cocktails classes, des blending sessions. Nous montrons à nos visiteurs comment fonctionne le vieillissement, comment on fait des assemblages, avec les épices, avec le rhum vieux, le rhum blanc pour créer son rhum épicé. Les clients repartent ensuite avec leur bouteille. Ça se passe sur une après-midi autour du rhum. »

 

Autour de La scène cocktail

Jan :  » Nous avons déjà une très belle proximité avec les bartenders du coin. Nous sommes dans plus de 200 comptes au Vietnam et nous commençons à avoir notre petite notoriété. Mais c’est nouveau pour eux aussi, le rhum  » agricole », et nous sommes encore dans la phase d’éducation pour ce type de rhum. Ils ont toujours utilisé des rhums « classiques », du style Bacardi et Havana. Nous leur montrons qu’il est possible de faire des produits de qualité au Vietnam et que nous ne sommes pas obligés de boire des rhums de mélasse.

Hoi An la nuit , bar à cocktail, planqué dans une ruelle.

 

Il y a 30 bars à cocktails qui ont ouvert dernièrement et ils commencent à gagner des compétitions. Ce sont majoritairement des asiatiques, qui ont des récompenses en tant que sommelier ou mixologue, issus de Hanoï ou Saöigon, cette dernière étant une grosse scène festive. Danang aussi, est un gros spot touristique, le deuxième après la Baie d’Halong.

Les cocktails bars un peu kraft, très tendance, avec des choses un peu nouvelles, sont en pleine explosion, ce qui est un bon levier pour nous !

Le fait d’être présents sur Singapour et Hong Kong représente aussi une très belle vitrine à ce niveau-là, car il y a vraiment du high level, côté bars.

Nous avons aussi participé à « Rumbellion », en octobre 2019,le premier festival autour du rhum à Singapour, qui se déroule dans plusieurs bars de la même rue. »

Autour de la culture Rhum au Vietnam.

 

Antoine : « Le Vietnam n’est pas un gros marché de rhum. Il y a quelques années il s’y produisait 300 000 bouteilles par an, ce qui n’est pas grand-chose . Mais ils s’y intéressent de plus en plus et ont accès à de plus en plus de marques. Avant c’était Bacardi, Havana et Chauvet, et le fait de proposer autre chose, est très motivant pour eux et pour nous ».

 

Autour de La canne à sucre

 

Antoine : « Notre partenaire Louann part en repérage et nous propose des parcelles selon les qualités requises pour la canne, les sols et l’exposition, ainsi que ses conseils sur la culture de la canne.

Nous visitons les parcelles de canne à 50 km de la distillerie.

 

Gilles Cognier nous a aussi donné des conseils sur la sélection. Il y a une cinquantaine de variétés au Vietnam, qui viennent de Chine pour la plupart et il existe beaucoup de variétés croisées entre le Laos, la Thaïlande et le Cambodge

Notre variété est la » K Vang », Vang signifiant « jaune ». Cela se traduit littéralement par « peau jaune » . C’est une variété indigène du Vietnam, même si nous pouvons trouver des cannes similaires au Laos, au Cambodge ou en Thaïlande, par les croisements.

 

La canne élue, la  » peau jaune ».

 

Le problème ici est qu’il y a très peu de traçabilité écrite sur toute la gestion de la canne . En outre les cultivateurs utilisent des surnoms pour la canne, rien n’est encadré et c’est … juste le bordel. D’où l’importance d’aller sur place, de la voir, de l’identifier à l’œil. Maintenant nous la reconnaissons !

 

Jan, Louann et Antoine … pensifs sur les échéances de la nature.

 

Nous aimerions faire nos propres boutures et avoir ainsi un historique de la culture de la canne au Vietnam.

L’identité de Sampan

 

Nous avons étudié le cahier des charges des agricoles des Caraïbes, notamment pour la technicité. Un savoir-faire que nous respectons énormément mais Sampan, c’est le rhum vietnamien premium agricole, une catégorie qui n’existait pas avant nous.

Nous sommes uniques !

Bon bah Ti punch alors ?